le revers de la médaille
SAGESSE
Il arrive que, loin des tracas scolaires qui
rendent les textes littéraires rebutants à cause des exercices pas toujours
agréables qui sont imposés et auxquels il faut impérativement se plier, on
revisite, à l’âge adulte, rien que pour le plaisir, les auteurs qui ont
enchanté, ennuyé ou marqué l’adolescence. Et là, on y découvre, grâce à
l’expérience accumulée, beaucoup de choses tapies derrière les mots, les
formules, les titres ou même la ponctuation: des détails qui paraissaient
dénués de tout sens aux yeux de la jeunesse. Il est vrai qu’on apprend chaque
jour est que pour un esprit curieux, celui d’un homme qui ne se contente pas de
rester derrière sa mangeoire ou devant sa télévision, la vie est un grand livre
ouvert qu’il faut se donner la peine de feuilleter à condition d’y savoir lire.
Evidemment, quand on est jeune, on fait plus attention aux choses qui sont en
relief, plus lumineuses, plus choquantes, qui paraissent révolutionnaires à
cause de leur violence ou de leur radicalité et qu’on reçoit comme des vérités
éternelles. Mais au fur et à mesure que le temps passe, les choses s’organisent
et prennent, dans une vision qui s’élargit sans cesse, leur place et leurs plus
justes proportions. D’ailleurs, un de mes aînés, journaliste de profession qui se
meurt lentement au pied de la montagne qui l’a vu naître, m’avait averti en
voyant la fougue et l’enthousiasme d’une jeunesse impatiente d’en découdre avec
l’ordre établi: «Tu sais, il est normal d’être révolutionnaire à vingt ans!
J’en ai vu beaucoup qui croyaient pouvoir changer le monde et qui, à quarante
ans sont rentrés dans le rang, le tête basse et la queue entre les jambes…»
C’est en revisitant Verlaine, le Prince des poètes, comme l’appelaient ses
admirateurs, que j’ai commencé à saisir le sens d’une vie. C’est à travers les
titres de ses recueils qu’on peut comprendre: Les fêtes galantes, Poèmes
saturniens, Jadis et naguère, Parallèlement et Sagesse. Que de chemin parcouru
par celui qui a voué une très grande partie de sa vie à Bacchus et à Eros, entre
absinthe et liaisons scandaleuses avant d’arriver à la destination finale
qu’est la tempérance, dernier arrêt avant la sagesse!
Ce qui peut arriver à un individu semble arriver à présent à une grande partie
de l’Humanité qui semble atteindre son âge de raison et qui, de Kyoto à
Copenhague, ne cesse de rappeler à ceux qui ont la lourde charge de gérer notre
maison commune, de prendre les mesures qui s’imposent afin que l’Humanité
puisse durer un peu plus sur ce caillou qui fut jadis le Jardin d’Eden. Et
c’est là que les vieux mythes prennent tout leur sens: ce qui était un paradis
risque de devenir un enfer à cause de l’appétit insatiable des hommes: la
surconsommation, la recherche exclusive du profit peuvent mener à la ruine. On
comprend alors le dédain affiché par Diogène le Cynique, envers Alexandre le
Grand, la terreur des rois, quand il lui a dit simplement: «Ôte-toi de mon
soleil!» Comment ne pas reconsidérer les rites des Amérindiens qui, après
avoir tué leur gibier, lui demandaient humblement des excuses. Tout un
cérémonial s’accomplissait avant de ramener la bête tuée. Les «sauvages»
ne prenaient à la nature que ce dont ils avaient besoin: le strict minimum.
Comment ne pas s’incliner devant ces fidèles de sectes religieuses réfugiées
aux USA, qui refusent le confort de la modernité pour n’avoir pas à polluer
l’environnement.
Les vieilles croyances ont toutes un fondement qu’on appelle aussi sagesse.